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Depuis plusieurs années, les acteurs publics ont fait le choix de soutenir la recherche et l’innovation collaboratives, à l’image de la politique des pôles de compétitivité (PPC) lancée en 2005 en France et qui permet de monter et financer des projets collaboratifs de R&D, impliquant au moins un organisme de recherche publique et deux entreprises (quelle que soit leur taille). Si les PME représentent une part importante des entreprises participant à ces projets collaboratifs (d’après le rapport d’évaluation de la PPC produit par Bearing-Point et Erdyn-Technopolis, 2012), leurs positions au sein du réseau collaboratif qui en émerge n’ont pas été explorées (Bellégo et Dortet-Bernadet, 2014). Pourtant, si la littérature met en avant le rôle clé de ces organisations pour l’innovation nationale (Bianchi et al., 2011), elle pointe également les spécificités et difficultés de l’innovation ouverte pour les PME (Christensen et al., 2005; Castro-Gonçalves et al., 2017) tout en mettant à jour une diversité de pratiques collaboratives en leur sein (Van de Vrande et al., 2009).

Cet article a donc pour objectif de caractériser les PME impliqués dans des projets innovants ainsi que leurs logiques de collaboration, à partir de leurs positions dans le réseau d’innovation soutenu par la PPC. Nous proposons de nous focaliser non pas sur les PME qui éprouvent des difficultés à mettre en oeuvre des collaborations pour innover, mais sur celles qui collaborent de façon récurrente, afin de spécifier la position que leurs collaborations leur confèrent au sein du réseau. Qui sont ces PME qui collaborent de manière récurente ? Sont-elles présentes dans tout le réseau ? Jouent-elles un rôle d’intermédiaire au sein du réseau financé par la PPC ? Sont-elles cantonnées à certaines configurations collaboratives ?

A ce jour la littérature sur les collaborations pour innover des PME a essentiellement proposé une analyse fine de la quantité et de la nature des liens dyadiques mis en oeuvre par les PME (Spithoven et al., 2013; Vanhaverbeke et al., 2018), empêchant de saisir les conséquences indirectes (plus ou mois structurantes) de certains liens de collaboration à l’échelle du réseau national d’innovation, et sous-estimant ce faisant la place des PME dans l’innovation du pays. Par ailleurs, l’analyse des collaborations pour innover encouragées par les pôles de compétitivité a surtout considéré ces derniers comme des clusters au sein desquels les proximités géographique et organisée à l’oeuvre stimulaient les collaborations intra-cluster (Calamel et al., 2012; Levy et Talbot, 2015; Vicente et al., 2011).

Nous adoptons ici une perspective différente. Nous nous intéressons au réseau national d’innovation soutenu par la PPC, sans poser de frontières a priori entre les pôles de compétitivité, pour étudier les collaborations des PME. Nous ciblons plus spécifiquement le réseau multi-connecté (RMC), c’est-à-dire le réseau des organisations qui collaborent ensemble dans au moins deux projets collaboratifs. Nous appliquons alors à ce réseau multiconnecté des méthodes d’analyse des réseaux sociaux pour regrouper les organisations qui collaborent de façon préférentielle les unes avec les autres, regroupements que nous appelons grappes innovantes (GI). Nous analysons finalement la position des PME dans ces GI (et entre ces GI) ainsi que les collaborations développées par les PME membres de ces GI. L’identification des partenaires (plus ou moins proches) avec lesquels les PME interagissent de façon récurrente, complétée par une analyse qualitative de la nature de leurs contributions (basée sur des études de cas de PME « idéales-typiques »), nous permettent enfin d’induire les logiques de collaboration de ces PME multiconnectées.

Nous mobilisons la base de données exhaustive des 549 projets collaboratifs de R&D financés entre 2008 et 2010 par la PPC. Parmi les 2465 organisations contribuant à ces projets, 328 sont constitutives du réseau multi-connecté dont 93 PME. Nos résultats montrent qu’il existe un tissu hétérogène de PME innovantes et collaboratives au sein du réseau national d’innovation soutenu par la PPC, que ces PME multiconnectées - c’est-à-dire les PME à collaborations récurrentes - sont actives dans l’ensemble des GI de ce réseau et que ces GI présentent des configurations variées. Les PME mobilisent ainsi des logiques de collaboration diverses (couplant des proximités et des contributions différentes), mais n’occupent que rarement une position de ponts entre GI[1]. Montrer que ces PME ne sont pas cantonnées à un type de configuration collaborative, nous permet finalement de saisir comment ces PME contribuent à la structure du réseau, au-delà des frontières de leurs pôles de compétitivité d’appartenance.

L’article est organisé comme suit : dans la première section, nous résumons les débats théoriques quant aux collaborations mises en oeuvre par les PME pour innover et leur inscription dans une logique de cluster. La deuxième partie expose les données et la méthode utilisées. Les résultats sont ensuite présentés dans la partie 3 et discutés dans la partie 4.

Revue de la littérature

Les PME : Des barrières à la collaboration récurrente pour innover ?

Les PME et les grandes entreprises pratiquent l’innovation ouverte de façon différenciée (Christensen et al., 2005; Vanhaverbeke et al., 2018), les PME étant freinées pour s’impliquer dans l’innovation de façon générale (D’Este et al., 2012) et dans l’innovation collaborative plus spécifiquement en raison de contraintes de ressources (Spithoven et al., 2013; Gassmann et al., 2010)[2]. Leurs ressources humaines limitées les handicapent ainsi dans la mise en oeuvre de stratégies efficaces pour trouver des informations de valeur et identifier des partenaires pertinents au sein de leur environnement (Dahlander et Gann, 2010). De plus, elles apparaissent réticentes à ouvrir leurs processus innovants, de peur de devoir alors dépendre de leurs partenaires externes (Gardet et Mothe, 2010).

Limiter le nombre de partenaires pour créer de la confiance grâce à des collaborations répétées est alors présenté comme un moyen approprié pour surmonter ces problèmes (Torre, 2014), même si dans certains cas le manque de compétences des PME peut également les empêcher de maintenir leurs collaborations (Kaufmann et Tödtling, 2002; Lee et al., 2010). En effet, du fait de leurs capacités d’absorption limitées, les PME peuvent souffrir de difficultés à assimiler et intégrer les connaissances externes auxquelles leurs collaborations leur donnent accès (Spithoven et al., 2010). Dès lors, elles ne perçoivent que difficilement l’intégralité des bénéfices de leurs collaborations (Najafi-Tavani et al., 2018) et ne sont donc pas encouragées à les répéter. Pourtant certaines PME y arrivent. La littérature explique alors ce résultat par des effets de seuil (Dubouloz et Bocquet, 2013) ou encore une diversité de maturité des PME en matière de capacités d’absorption (Benhayoun-Sadafiyine, 2017).

Si collaborer de façon récurrente avec quelques partenaires privilégiés semble accessible à certaines PME, cette stratégie peut cependant cantonner ces PME à une position périphérique au sein du réseau national d’innovation. Ainsi de nombreux travaux concluent que les positions stratégiques au sein des réseaux d’innovation sont plutôt l’apanage des grandes entreprises (Zaheer et Bell, 2005) ou des acteurs publics (Wright et al., 2008; Kauffeld-Monz et Fritsch, 2013). Cependant, un autre ensemble de travaux met en avant le rôle clé des entreprises de Services à Forte Intensité de Connaissances (SFIC) dans la construction, le transfert ou même la traduction des connaissances au sein des réseaux d’innovation (Shearmur et Doloreux, 2009; Muller et Zenker, 2001). Une SFIC peut ainsi jouer un rôle clé en renforçant un réseau (Svare et Gausdal, 2015) ou en l’orchestrant (Batterink et al., 2010), Or, les SFIC sont souvent des PME (Strambach, 2008). Dans ce cas, même en mettant en oeuvre un nombre limité de collaborations pour innover, une PME-SFIC pourrait alors structurer le réseau d’ensemble et connecter des sous-parties du réseau jusqu’à présent déconnectées.

Nous souhaitons donc enrichir l’étude des collaborations mises en oeuvre par les PME dans le cadre de la PPC, en analysant finement les caractéristiques des PME multiconnectées (et notamment SFIC ou non), les contours de leurs collaborations récurrentes et la place d’intermédiaire que celles-ci leur confèrent, si elle existe.

Les PME : des dimensions proximistes dans la sélection des collaborations récurrentes pour innover ?

La littérature ne converge pas quant au type de collaborations privilégié par les PME lorsqu’elles s’engagent dans des réseaux d’innovation. L’homophilie est souvent présentée comme déterminante à la fois dans le choix des partenaires collaboratifs et dans la formation du réseau (Ahuja et al., 2009) suggérant alors que les collaborations entre PME sont les plus fréquentes. D’autres travaux concluent au rôle bénéfique des proximités géographique et organisée pour stimuler les échanges de connaissances et l’innovation des PME (Levy et Talbot, 2015). La proximité organisée (Rallet et Torre, 2006) renvoie ici à toute forme de proximité non-géographique entre organisations et peut se décliner sous quatre formes (selon Boschma, 2005) : la proximité organisationnelle (partage d’une même forme organisationnelle), cognitive (partage de bases cognitives similaires ou proches : appartenance à un même secteur par exemple), institutionnelle (règles et routines similaires) et sociale (existence de relations sociales fortes).

Pour Rothwell et Dodgson (1994), au contraire, les collaborations des PME tendent à se limiter aux alliances stratégiques avec les grandes entreprises. La distance organisationnelle (entre PME et université et/ou entre PME et grandes entreprises) peut certes engendrer des problèmes de compréhension mutuelle (Van de Ven et Johnson, 2006), mais elle s’avère particulièrement fructueuse pour générer de nouvelles idées (Nooteboom et al., 2007). D’autres auteurs insistent pour leur part sur l’importance de la proximité géographique pour catalyser les collaborations, notamment entre les PME et les organismes de recherche (Nishimura et Okamuro, 2010), ou sur la co-construction dynamique de la relation proximité géographique-collaboration (Vicente et al., 2011), alors que Davenport (2005) montre que les PME vont mobiliser alternativement la proximité géographique ou la proximité organisée selon leurs besoins[3].

Face à ces conclusions divergentes, les clusters, qui cumulent proximités géographique et organisée, semblent représenter des contextes propices aux collaborations pour innover mises en oeuvre par les PME. Certains travaux ont ainsi étudié la densité de collaboration intra-cluster (Calamel et al., 2012; Levy et Talbot, 2015), d’autres le rôle des entreprises comme ponts entre clusters (Kauffeld-Monz et Fritsch, 2013), alors que Bocquet et Mothe (2014), ou Castro-Gonçalves et al. (2017) ont surtout insisté sur les besoins d’accompagnement des PME par la gouvernance des clusters pour absorber au mieux les connaissances externes acquises et ainsi mettre en oeuvre une innovation collaborative.

Mais la littérature a également montré que les interdépendances entre clusters étaient une condition importante de leur réussite et que les liens extra-clusters étaient déterminants dans le dynamisme et le cycle de vie d’un cluster (Menzel et Fornahl, 2009; Vicente et al., 2011)[4]. Or, ces liens peuvent être tant locaux (avec des organisations ou des clusters de la même région) que distants (avec des clusters de domaines sectoriels proches mais éloignés géographiquement). Il devient alors intéressant d’étudier si les PME qui collaborent pour innover de façon récurrente peuvent être les acteurs porteurs de telles interdépendances, et si des dimensions proximistes sont toujours à l’oeuvre dans les collaborations récurrentes qu’elles mettent en oeuvre.

Données et méthode

Données : les projets collaboratifs d’innovation financés par la PPC

Depuis le travail séminal de Porter (1998), les initiatives politiques dédiées aux clusters se sont multipliées à travers le monde (Ketels, 2013). La France a ainsi lancé en 2005 la politique des pôles de compétitivité (PPC). La PPC est adossée à un instrument financier dédié : le Fonds Unique Interministériel (FUI). Deux fois par an depuis 2005, ce fonds organise des appels à projets pour cofinancer des projets de R&D labellisés par un ou plusieurs pôles de compétitivité. Accéder à ce fonds impose que les projets collaboratifs impliquent au moins une institution de recherche publique et deux entreprises (aucune contrainte ne portant sur le type, la taille ou la localisation des entreprises impliquées).

Notre base de données de départ regroupe les 2465 organisations ayant participé aux 549 projets collaboratifs financés suite aux appels d’offre 7, 8, 9 et 10 du FUI sur la période 2008-2010. Les données sur les projets d’innovation comprennent la liste des organisations participantes, le nom du (ou des) pôle(s) labellisateur(s), le résumé et les livrables du projet, et le montant du financement obtenu. Un travail conséquent de nettoyage et de recherche d’informations complémentaires a été réalisé, afin de localiser les organisations participantes à un niveau très fin (établissement pour les entreprises et laboratoire de recherche pour les organismes de recherche), de manière à rendre compte de leurs collaborations réelles à un niveau géographique pertinent. Concrètement, les organisations ont été localisées au niveau de la commune. Les informations sur les entreprises (catégorie d’entreprise, secteur d’activité, effectif salarié) ont été complétées et enrichies par appariement avec la base de données Diane. La diversité des activités manufacturières et de service des entreprises étudiées a ainsi été établie à partir de la classification A38 de la nomenclature agrégée d’activités (INSEE-NA2008), ce qui a entraîné un découpage en 12 secteurs manufacturiers et 7 secteurs serviciels.

Collaborations récurrentes et réseau multi-connecté

Le présent article s’inscrit dans la littérature mobilisant une analyse structurale de réseau et selon laquelle la position d’une organisation au sein d’un réseau est un indicateur de ses liens de collaboration directs et indirects. Notre première étape a donc consisté à reconstituer le réseau d’innovation soutenu par la PPC. Alors que la plus grande partie des articles sur la PPC analysent les réseaux de collaborations à l’oeuvre au sein d’un pôle de compétitivité, ou d’une région (Calamel et al., 2012; Levy et Talbot, 2015), le réseau d’innovation est ici construit à partir de la liste de l’ensemble des co-participations aux projets FUI.

Concrètement, en construisant un réseau d’acteurs à partir de projets collaboratifs, nous avons fait le choix de transformer un réseau bipartite (formé par les projets et les participants à chaque projet) en réseau unipartite (reliant par un lien deux acteurs participant à un même projet). Ce choix entraîne donc que tous les partenaires d’un même projet sont supposés collaborer effectivement ensemble, hypothèse de base dans la littérature, même si elle reste discutée (Bernela et Levy, 2017). Puis, nous nous sommes focalisés sur les collaborations répétées entre acteurs en excluant les collaborations ponctuelles (prolongeant en cela la méthodologie développée par Autant-Bernard et al., 2007). Nous construisons finalement un réseau multi-connecté (RMC) en conservant uniquement les organisations reliées par au moins 2 projets communs. L’hypothèse sous-jacente est que les collaborations répétées ont plus de chance de rendre compte d’échanges réels de connaissances que les partenariats en R&D ponctuels, particulièrement dans les projets comprenant un nombre important de partenaires.

Les statistiques descriptives de notre base de données sont fournies dans le tableau 1. Les PME (entreprises indépendantes de moins de 250 salariés et n’appartenant pas à un groupe) représentent 43 % des organisations, capturent environ 30 % du financement total et participent à moins de projets innovants en moyenne que les autres organisations (1.24 projets collaboratifs contre 1,73 projets pour les grandes entreprises par exemple). De plus, 83 % de ces PME sont impliqués dans un seul projet au cours de la période étudiée, ce qui confirme la difficulté à mettre en oeuvre une innovation collaborative pour ces organisations. Lorsqu’on se focalise sur le RMC, les PME représentent 28 % des organisations multiconnectées. Collaborer de façon récurrente pour innover est donc une activité délicate à mener pour les PME, mais ces dernières sont cependant présentes dans le RMC, ce qui nous encourage à mieux comprendre quelles sont leurs logiques de collaboration.

Grappes innovantes, logiques de collaborations et intermédiation

Nous identifions ensuite les grappes innovantes (GI) au sein du RMC[5]. Pour cela nous réalisons une Analyse de Classification Hiérarchique (Wasserman et Faust, 1994), outil traditionnellement mobilisé par l’analyse des réseaux, notamment par Levy et Muller (2007) pour identifier des communautés scientifiques. Cette méthode permet de regrouper les organisations de sorte que les membres d’une GI aient comparativement plus de liens directs et indirects entre eux qu’avec des organisations (noeuds) qui ne sont pas membres de la GI. En d’autres termes, cette méthode maximise la densité des liens de collaboration au sein des GI et minimise la densité des liens entre GI. La qualité de la partition issue de cette Anayse de Classification Hiérarchique est mesurée par un indice de modularité Q (Girvan et Newman, 2002) comparant la fraction des noeuds reliant les noeuds de la même GI dans le réseau avec la fraction attendue des liens dans la même partition avec des connexions aléatoires entre les noeuds. Nous retenons le partitionnement associé à la valeur Q la plus élevée, qui nous permet de mettre à jour 11 GI (Figure 1).

Tableau 1

Participation au réseau par type d’organisation

Participation au réseau par type d’organisation

* Organisations qui ne sont ni des entreprises, ni des organismes de recherche publique, par exemple des associations professionnelles, ou des centres techniques.

** 2 organisations sont incluses dans le RMC si elles participent au moins à deux projets collaboratifs ensemble.

Sources : Auteurs, à partir de DGCIS, 2007-2010

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FIGURE 1

Grappes innovantes issues du réseau multi-connecté (2007-2010)

Grappes innovantes issues du réseau multi-connecté (2007-2010)

Légende : forme: 2169540.jpg : organisme de recherche publique; forme: 2169541.jpg : GE; forme: 2169542.jpg : PME manufacturière; forme: 2169543.jpg : PME SFIC; + : autre acteur.

Chaque nuance de gris représente une CI. Est représentée uniquement la composante principale du RMC.

Sources : auteurs à partir de Netdraw 2.149 (Borgatti, S.P. 2002. NetDraw : Graph Visualization Software. Harvard : Analytic Technologies)

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Nous caractérisons ensuite chacune de ces grappes sur la base d’indicateurs qualifiant entre autres les PME impliquées dans la grappe, et les liens qu’elles nouent en matière de proximité géographique et de proximité organisée. Ces indicateurs sont présentés dans le tableau 4. Nous intégrons les liens que les PME nouent au sein de la grappe mais également avec d’autres grappes pour calculer ces indicateurs. Nous retenons ici une définition large de la proximité organisée, celle-ci intégrant d’une part la proximité organisationnelle qui peut exister entre deux PME, et d’autre part la proximité cognitive (appartenance au même secteur d’activités) qui peut lier deux partenaires. Quant à la proximité géographique, elle est approchée par l’appartenance à une même région (les 22 régions métropolitaines françaises d’avant la réforme territoriale de 2016). La position des PME dans les GI, couplée à leurs caractéristiques collaboratives, nous permettent alors d’induire des logiques de collaboration pour innover. Pour étayer ces logiques, nous complétons cette analyse structurale par l’étude qualitative des caractéristiques et collaborations de PME idéales-typiques (sur la base du descriptif - listes des partenaires, pôles labelisateurs, résumés et livrables - des projets FUI auxquels elles ont participé, et de données secondaires collectées sur les sites institutionnels des entreprises impliquées, des pôles labelisateurs et/ou dédiés aux projets innovants). Ceci nous permet alors de décliner chacune des logiques de collaboration à trois niveaux : proximités mobilisées au sein de la GI, finalité des projets de collaboration impliquant la PME, nature de la contribution de la PME.

Résultats

Nous présentons nos résultats en trois temps, distinguant les caractéristiques des PME multiconnectées, les collaborations mises en oeuvre par ces PME dans chaque grappe et entre grappes, aboutissant in fine à la caractérisation de leurs logiques de collaboration.

Les PME multiconnectées : des caractéristiques hétérogènes

Le tableau 2 montre que les PME représentent 45,8 % des firmes engagées dans des collaborations récurrentes, alors qu’elles représentent 62,9 % des entreprises du réseau monoconnecté. Elles semblent donc bien souffrir de difficultés à s’investir de façon répétée dans des collaborations avec d’autres partenaires. Parmi ces 93 PME multiconnectées, il faut noter que 30 d’entre elles sont des PME manufacturières, contre 63 des PME de service. Les 30 PME manufacturières sont principalement actives dans les secteurs suivants (par ordre décroissant) : informatique-électronique, textile, caoutchouc-plastique, métallurgie et transport. De leur côté, les 68 GE industrielles multiconnectées sont très fortement présentes dans deux secteurs, le transport et l’informatique-électronique (54 sur les 68 GE).

Quant aux 63 PME de service multiconnectées, ce sont exclusivement des PME à forte intensité de connaissances (SFIC). Elles exercent principalement des activités de services informatiques, de gestion-ingénierie et d’édition-audiovisuel. Les 42 GE de service exercent pour leur part un panel d’activités plus diversifié, avec cependant une dominante en gestion-ingénierie.

Tableau 2

Distribution des entreprises (mono vs multi-connectées) par secteur d’activité

Distribution des entreprises (mono vs multi-connectées) par secteur d’activité

Secteur manufacturier : IAA (Aliments-Boissons); Textile (Textile-Habillement); Bois (Bois-Papier-Imprimerie); Chimie (Chimie); Pharma. (Pharmacie); Caout. (Caoutchouc-Plastiques-Minéraux non métalliques); Metall. (Métallurgie sauf machines et équipements); Inf-El. (Informatique-Electronique); Eq-Elec. (Equipements électriques); Mach. (Machines et équipements); Transp. (Matériel de transport); Aut-Ind. (autres industries).

Secteur SFIC : Ed-Aud. (Edition-Audiovisuel); Télé. (Télécommunications); Serv-Inf. (Services informatiques); Finance (Finance-Assurance); Ge-Ing. (Gestion-Ingénierie); R&D (R&D scientifique); Aut-Act. (Autres activités spécialisées)

* Des tests de Fisher indiquent des différences significatives au seuil de 1 % entre les deux populations des PME et des GE multi-connectées, tant pour les activités manufacturières que pour les activités de service.

** Lecture : Les PME manufacturières multi-connectées représentent 7,7 % de l’ensemble des PME manufacturières (mono+multi); les GE manufacturières multi-connectées représentent 20,6 % de l’ensemble des GE manufacturières (mono+multi).

Sources : Auteurs, à partir de DGCIS, 2007-2010

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Le tableau 3 s’intéresse aux critères d’âge, de taille et de portage de projets des PME mono versus multiconnectées[6]. On y lit que 51,6 % des PME multiconnectées ont été créées après l’an 2000, contre 54 % pour les PME monoconnectées. Les PME de plus de 50 salariés représentent une part significative des PME multiconnectées (39,8 % comparé à 24,5 % pour les PME monoconnectées), suggérant un effet de taille pour les PME dans leur capacité à répéter les collaborations pour innover. Enfin, les PME multiconnectées ont une plus forte capacité à porter au moins un projet collaboratif, puisque 22,6 % d’entre elles le font contre seulement 11,5 % des PME monoconnectées. Le test du chi2 confirme des différences significatives au seuil de 1 % pour la taille et pour l’activité de pilotage de projets, mais pas pour l’âge : les PME multiconnectées se singularisent donc sur les deux premiers critères comparativement aux PME monoconnectées.

Des PME présentes dans l’ensemble des grappes aux configurations variées

Le tableau 4 montre tout d’abord que les PME sont présentes dans les 11 GI et représentent entre 13 % et 75 % de la population de ces grappes. De plus, quelle que soit la grappe considérée, elles participent au moins à 31 % du nombre total de projets collaboratifs de ces grappes. Ainsi, les PME sont impliquées dans l’ensemble du réseau.

Pour autant, ces grappes sont de taille très variable regroupant 4 membres et 4 projets pour la GI 11 (la plus petite), jusqu’à 93 membres et 100 projets pour la GI6 (la plus grande). Le poids des organismes de recherche est également hétérogène, puisque leur part parmi les organisations des GI varie entre 16,5 % et 50 %. Les membres des GI se concentrent souvent dans une voire deux régions, avec une prégnance des régions Ile de France (6 GI) et Rhône-Alpes (3 GI). Cependant, cela n’empêche pas que les projets liés à chaque GI relèvent d’un nombre significatif de pôles de compétitivité différents, supérieur à 5 dans 9 GI, et avec un maximum de 28 pour la GI6.

Tableau 3

Caractéristiques des PME (mono vs multi-connectées)

Caractéristiques des PME (mono vs multi-connectées)
Source : Auteurs, à partir de DGCIS, 2007-2010

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En termes d’activités, 9 GI sont spécialisées dans un ou deux secteurs manufacturiers avec une forte représentation pour les secteurs de l’informatique-électronique (6 GI) et du transport (4 GI). Pour les activités servicielles, 8 GI présentent une spécialisation sectorielle avec une forte représentation pour les secteurs des services informatiques (6 GI) et gestion-ingénierie (5 GI).

Enfin certaines GI sont plus interconnectées que d’autres. Ainsi, les GI 6, 7 et 8 regroupent 52 des 74 organisations jouant un rôle de pont entre grappes c’est-à-dire des organisations qui sont impliquées dans au moins un lien de collaboration inter-grappe.

Au-delà de leur présence dans les différentes GI, nous étudions également la place des PME au sein des GI à l’aune d’indicateurs de proximité géographique et organisée. Dans la majorité des grappes (8 sur 11), les liens intra-régionaux des PME sont élevés, représentant plus de 66 % de l’ensemble des liens des PME. Dans ces grappes (à l’exception de la GI3), les PME nouent plus de collaborations avec des organisations localisées dans leur région que ne le font les autres organisations, suggérant alors une logique de collaboration mobilisant la proximité géographique.

La proximité organisée apporte des informations différentes selon que l’on regarde la proximité organisationnelle ou la proximité cognitive. Tout d’abord, il faut noter le faible nombre de liens PME-PME. Ces derniers représentent ainsi moins de 10 % des liens des PME dans 9 GI, alors que les PME collaborent avant tout avec des organismes de recherche (8 GI) ou des GE (2 GI). La proximité organisationnelle est donc faiblement mobilisée dans leurs collaborations récurrentes pour innover.

Alors même que les PME nouent beaucoup de liens avec les organismes de recherche, une forme de proximité cognitive semble néanmoins à l’oeuvre dans la GI5, où les PME exercent des activités de R&D, facilitant ainsi les échanges de connaissances avec les organismes de recherche. Concernant les autres GI, en distinguant PME manufacturières et PME SFIC, on voit que les PME manufacturières nouent essentiellement des liens avec d’autres entreprises manufacturières (au moins 80 % des liens, quand il en existe, à l’exception d’une GI), ce qui témoigne d’une proximité cognitive liée à la spécialisation manufacturière des GI. Pour les PME SFIC, la situation est plus contrastée puisque les collaborations des PME SFIC avec des entreprises de service sont majoritaires dans 4 GI mais nulles (et donc exclusivement avec des entreprises manufacturières) dans 3 GI.

Enfin, la contribution des PME aux connexions entre GI reste limitée. En effet, sur les 74 organisations jouant un rôle de pont entre grappes, seulement 13 sont des PME (10 SFIC et 3 PME manufacturières) pour 27 grandes entreprises (9 SFIC et 18 manufacturières) et 34 organismes de recherche (soit respectivement 14 % des PME, 24,5 % des GE et 29,8 % des organismes de recherche). De plus, quand il n’existe qu’un seul lien entre 2 grappes (qui seraient restées déconnectées sans ce lien), ce sont rarement des PME qui le portent. En effet, seules 2 PME jouent ce rôle que nous qualifions de pont exclusif (sur 13 en tout), ces deux PME appartenant à la GI11, spécialisée en Edition-Audiovisuel. Finalement, le rôle de pont inter-grappe apparaît limité pour les PME mais occupé essentiellement par des PME SFIC, ce qui invite à étudier plus en détail les logiques collaboratives de ces PME.

Différentes logiques collaboratives pour les PME multiconnectées

Nous cherchons dans un dernier temps à induire les logiques de collaboration des PME multiconnectées, en identifiant des GI présentant des profils similaires en terme de configuration collaborative des PME, et en menant des études de cas de quelques PME idéales-typiques membres de ces GI. Cette analyse nous conduit à caractériser et qualifier trois logiques collaboratives distinctes.

Tableau 4

Caractéristiques des 11 grappes innovantes

Caractéristiques des 11 grappes innovantes

* Les grappes sont ordonnées selon le % de SFIC croissant parmi les PME puis parmi les GE.

** Nombre de pôles de compétitivité qui ont labellisé ou co-labellisé les projets auxquels participent les membres de la grappe.

*** Une (ou deux) région(s) regroupant au moins 60 % des organisations de la grappe : RA (Rhône-Alpes), NpDC (Nord Pas de Calais), Br (Bretagne), PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), IdF (Ile de France), MiP (Midi-Pyrénées), BNo (Basse-Normandie).

**** La spécialisation (manufacturière ou servicielle) est établie pour un ou deux secteur(s) représentant au moins 60 % des entreprises de la grappe (voir Tableau 2 pour la légende des secteurs).

***** Les liens pris en compte sont l’ensemble des liens récurrents (intra-grappe + inter-grappe) noués par des PME de la grappe.

Source : Auteurs

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Un premier ensemble de grappes se distingue par la nature des partenaires récurrents des PME en leur sein. Il s’agit des grappes GI1, GI2 et GI5. Les PME membres de ces GI collaborent de manière récurrente essentiellement ou quasi exclusivement avec des établissements de recherche publique, le plus souvent situés à proximité géographique. Si dans le cas des GI1 et 2, les PME sont avant tout des entreprises manufacturières, présentant une spécialisation dans les secteurs de la chimie et du textile, on retrouve un comportement similaire dans la GI5, où les PME concernées sont des PME poursuivant des activités de R&D. Ces liens privilégiés et répétés avec la recherche, couplés à la nature des outputs des projets FUI concernés et à la contribution des PME dans ces projets, nous amènent à qualifier la logique adoptée par ces PME de logique de recherche exploratoire. Celle-ci consiste à co-créer des connaissances pour de futures applications innovantes, en collaboration avec la recherche publique. Les cas des PME Texplora et Neomères présentés dans l’encadré 1 ci-dessous illustrent cette logique.

Un deuxième ensemble de grappes (GI9, GI10 et GI11) se singularise par leur forte orientation SFIC (la totalité des PME et de 40 à 100 % des GE). Les PME-SFIC spécialisées dans les secteurs de la gestion-ingénierie, des services informatiques et de l’édition-audiovisuel paraissent ici dédiées à des activités d’expertise de service à destination de partenaires de la recherche publique ou de grandes entreprises de secteurs variés, mais plutôt elles-aussi spécialisés dans les services. Ces PME collaborent de façon récurrente avec des partenaires proches géographiquement (le plus souvent au sein du territoire de l’Ile de France). D’ailleurs, la proximité géographique est mobilisée par ces PME SFIC plus que par les non PME de leurs grappes. Ces PME adoptent ce que nous qualifions de logique d’expertise de service, qui consiste à fournir leurs outils et expertises spécifiques pour servir les besoins des partenaires des projets. Les PME Experto et Smartec présentées dans l’encadré ci-dessous illustrent cette logique.

La 3ème logique s’observe notamment dans les GI6, GI7 et GI8 (et également GI4) qui regroupent des entreprises industrielles dans les secteurs des transports et de l’informatique-électronique et des entreprises de services informatiques et de conseil-ingénierie. Ces GI se singularisent par leur taille importante, une implantation forte en Ile de France (à l’exception de la GI4) et leur fort degré de connexion à d’autres grappes. Les PME SFIC membres de ces GI nous semblent relever d’une logique d’interface par leur position de pont entre GI mais également leur rôle de passeur de connaissances entre différents secteurs. Cette logique est notamment rendue possible du fait de leurs compétences transversales, comme le montrent les deux exemples de l’encadré 3.

Discussion

Nos résultats permettent de contribuer à la littérature sur trois points, que nous abordons successivement dans cette partie discussion.

De la difficulté des PME à collaborer de façon récurrente

Si la littérature présente majoritairement les PME comme ayant une faible capacité à collaborer pour innover (Christensen et al., 2005; Castro-Gonçalves et al., 2017 ), nos résultats montrent que dans le cadre de la PPC, une plus faible proportion encore d’entre elles sont engagées dans des collaborations répétées avec le(s) même(s) partenaire(s). Collaborer une première fois ne garantit pas, pour les PME et leurs partenaires pour l’innovation, de collaborer une seconde ou une troisième fois ensemble.

Nos résultats attestent cependant de la diversité des PME qui y arrivent, en dépit de leur faible nombre : la collaboration récurrente n’apparaît donc pas réservée à un profil de PME aux caractéristiques précises. PME manufacturières et de services sont impliquées dans le réseau multi-connecté, même si les PME-SFIC, qui sont par définition des intermédiaires de connaissances et d’innovation, sont sur-représentées parmi les PME multiconnectées.

Par ailleurs, la distribution des PME par âge ne présentent pas de différence significative entre PME mono ou multiconnectées (et ce quelle que soit leur spécialisation sectorielle). Les PME de grande taille sont plus nombreuses dans la population des PME multiconnectées (que dans celle des PME monoconnectées). Les PME multiconnectées ne se limitent donc pas exclusivement à des start-ups (jeunes et de petite taille). Quant à l’argument du manque de ressources liées à la taille (Spithoven et al., 2013), il semble validé.

Enfin, les PME qui collaborent de façon répétée sont plus souvent des porteurs/pilotes du projet collaboratif que celles qui ne collaborent qu’une fois. Leur rôle dans la collaboration (en tant que porteur ou non du projet collaboratif) apparait dès lors comme un déterminant potentiel de leur capacité à collaborer de façon récurrente qui appelle à être étudié plus avant. Ainsi, alors que jusqu’ici les travaux mettaient en lumière le rôle explicatif des différentiels de capacités d’absorption des PME dans leur capacité à collaborer d’une part et leur velléité à renouveler la collaboration de l’autre (Benhayoun-Sadafiyine, 2017), nos analyses suggèrent d’étudier plus avant l’effet combiné de la taille des PME et de leur rôle de porteur de projet comme déterminants de cette même capacité d’absorption.

Au-delà de la diversité des PME multiconnectées, nos analyses de réseaux montrent également la diversité des collaborations répétées dans lesquelles celles-ci sont engagées.

De la place de la proximité dans les collaborations récurrentes mises en oeuvre

Les PME qui collaborent pour innover de façon récurrente ne sont pas cantonnées à une seule logique de collaboration avec quelques partenaires privilégiés. En effet, la présence des PME dans toutes les grappes innovantes du réseau d’innovation national et la composition très hétérogène des 11 GI fournissent des arguments en défaveur d’un modèle « standard » de collaborations répétées pour les PME. Si la littérature suggérait déjà que les modalités de l’innovation ouverte pouvaient différer entre PME (Van de Vrande et al., 2009), nous mettons ici à jour que les PME s’emparent de façon différente d’une modalité de collaboration unique (le projet collaboratif de la PPC), mobilisant des proximités spécifiques. Contrairement aux outils de politique d’innovation proposés jusqu’alors, et comme l’anticipaient Carré et Levrato (2009), les PME ont réussi à s’approprier la PPC, tout en gardant des logiques de collaborations hétérogènes. Cet outil a également permis de favoriser les collaborations répétées entre PME et organismes de recherche, permettant alors de réduire la distance cognitive originelle qui séparait ces deux types d’organisations.

De plus, la logique de collaboration récurrente ne semble pas s’expliquer uniquement par les différences sectorielles entre PME manufacturières et PME SFIC, ni par un seul et unique critère proximiste. Nos résultats font en effet apparaitre différentes logiques collaboratives qui coexistent et nous amènent donc à nuancer les besoins de proximité lors de l’innovation collaborative répétée. Les PME vont certes souvent mobiliser la proximité géographique dans leurs choix collaboratifs, ce qui confirme les travaux passés qui mettaient en avant le caractère local des collaborations des PME (Nishimura et Okamuro, 2010). Mais cette proximité n’est pas seulement géographique; elle peut être aussi cognitive (les PME manufacturières collaborant avant tout avec des profils d’activités similaires). Finalement plus que la proximité organisationnelle (abordée via les collaborations entre PME[7]), ce sont les proximités géographique et cognitive qui semblent lier les partenaires de l’innovation.

De l’activité d’intermédiation des PME dans le réseau d’innovation

L’analyse de réseau combinée à l’étude qualitative de PME « idéales-typiques » révèlent diverses logiques dans les collaborations mises en oeuvre par les PME multiconnectées, s’appuyant non seulement sur des dimensions proximistes différentes mais également sur des activités et positions d’intermédiation diverses.

En premier lieu, nos résultats montrent que les PME contribuent plutôt faiblement à la mise en relation des grappes innovantes, et qu’elles ne sont pas décisives dans la connexion de ces communautés. Nous rejoignons donc la littérature qui conclut que ces positions stratégiques sont souvent l’apanage des grandes entreprises (Zaheer et Bell, 2005) ou des acteurs publics (Wright et al., 2008; Kauffeld-Monz et Fritsch, 2013). Bien que n’occupant que rarement une position de pont exclusif dans la structure du réseau national d’innovation (c’est-à-dire de tiers qui joignent différentes communautés qui seraient restées disjointes sans leur intervention) (Obstfeld, 2005), il émerge de nos analyses que les PME multiconnectées assument cependant plusieurs activités d’intermédiation identifiées dans la littérature (Agogué et al., 2013).

Ainsi, les PME relevant d’une logique d’interface, exclusivement des PME SFIC, développent des compétences transversales qui leur permettent de collaborer avec des entreprises de secteurs reliés (dans le domaine du transport notamment) et d’être ainsi en position d’assurer des activités de transfert ou de traduction de connaissances entre ces différents secteurs.

Par ailleurs, si Shearmur et Doloreux (2009) et Muller et Zenker (2001) présentaient déjà les SFIC comme des entreprises pourvoyeuses de connaissances (à l’image des PME-SFIC adoptant une logique d’expertise de service), nous mettons également en lumière que ce rôle de pourvoyeur de connaissances peut être assumé directement par certaines PME manufacturières adoptant une logique exploratoire. Cette logique témoigne en effet des capacités cognitives de certaines PME qui peuvent nourrir le processus d’innovation très en amont au contact d’organismes de recherche (Noteboom et al., 2007).

Conclusion

Dans le présent article, nous étudions les collaborations répétées mises en oeuvre par les PME en matière d’innovation dans le cadre de la PPC. En appréhendant les caractéristiques de ces PME collaboratives et en mettant à jour leurs logiques de collaboration, nous contribuons à améliorer la compréhension de la place des PME innovantes dans la structuration de réseaux innovants. Grâce à une perspective multiconnectée couplée à un niveau analytique intermédiaire (les GI), nous montrons que certaines PME réussissent non seulement à devenir des partenaires récurrents pour innover, mais qu’elles prennent aussi part à l’ensemble des communautés les plus cohésives du réseau. Ces PME présentent des caractéristiques hétérogènes, et elles s’inscrivent dans les logiques collaboratives diverses, qui ne s’expliquent pas uniquement par les différences sectorielles entre PME manufacturières et PME de services intensifs en connaissances, mais couplent aussi des proximités différentes et des activités d’intermédiation spécifiques. Nos résultats mettent finalement en lumière une tension entre la littérature existante qui insistait jusqu’à présent surtout sur la difficulté des collaborations et laissait ainsi à penser que les collaborations seraient soit marginales soit limitées (dans certaines grappes uniquement) vs les collaborations récurrentes mises en oeuvre par les PME, qui sont diversifiées. Un même instrument financier (FUI) peut donc répondre à des besoins d’innovation ouverte différents et donner naissance à des collaborations variées pour les PME.

Nous trouvons aussi que ces PME, en dépit de leur intensité collaborative, se positionnent rarement comme ponts exclusifs entre grappes, leurs activités en la matière se limitant surtout à renforcer des liens existants créés via d’autres acteurs du réseau. Bien que ne jouissant pas de positions privilégiées d’intermédiation entre communautés cohésives, les collaborations développées par les PME poussées par des logiques diverses suggèrent néanmoins que ces dernières contribuent à structurer différemment les sous-parties du réseau dans lesquelles elles sont actives.

Enfin, les PME étudiées s’insèrent dans le réseau national d’innovation au-delà des frontières de leurs pôles de compétitivité d’appartenance. Au-delà de contributions en matière d’innovation ouverte des PME, l’approche proposée et les choix méthodologiques réalisés ont en effet permis de montrer que les frontières des GI qui émergent de l’analyse de réseau débordent les frontières des pôles. Ces frontières ne sont par conséquent pas nécessairement le meilleur niveau pour apprécier le rôle structurant de cette politique sur l’innovation, y compris pour les PME, alors même que beaucoup d’évaluations sont menées à ce niveau (Gallié et al., 2013 en France par exemple). Cette approche originale peut dès lors s’appliquer à d’autres contextes nationaux (quelle que soit leur politique de clusters) en permettant d’éclairer comment les PME contribuent de par la diversité de leurs logiques de collaboration à structurer des réseaux nationaux (voire internationaux) d’innovation.

Notre travail n’est cependant pas exempt de limites. Tout d’abord, nous avons étudié les collaborations récurentes en partant du postulat que toutes les organisations signataires d’un projet FUI interragissaient et échangaient des connaissances au cours de ces projets. Or, il serait nécessaire d’aller plus loin et d’aborder plus systématiquement le contenu cognitif des collaborations (Nahapiet et Ghoshal, 1998) et la nature des connaissances effectivement échangées entre les partenaires au cours des projets collaboratifs (au-delà des études de cas proposées). Cette perspective permettrait d’approfondir et d’éclairer nos résultats quant à la mobilisation très partielle de la proximité organisée par les PME qui collaborent pour innover de façon récurrente. De même, la mesure de la proximité géographique retenue dans le présent article (approchée par l’appartenance des partenaires de la collaboration à une même région) pourrait être affinée, par la prise en compte des distances kilométriques (ou des temps de trajet) réels reliant les différents membres des projets collaboratifs. Par ailleurs, nous avons induit des logiques de collaboration de l’observation des configurations des grappes, mais il demeure probable que différentes logiques de collaboration des PME co-existent au sein d’une même grappe, ce que nous n’avons pas cherché à analyser dans le présent article. Enfin, une dernière limite de notre travail réside dans le caractère statique de l’étude proposée. En effet, nous nous appuyons sur un instantané du réseau, alors que la littérature nous invite à essayer de rendre compte de la confiance et de la construction de compétences collaboratives à travers le temps et à scanner le processus de formation des liens de manière dynamique. Cette analyse dynamique pourrait aussi intégrer une comparaison entre les pratiques collaboratives des PME multiconnectées versus monoconnectées au sein du réseau.