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Libéralisation des marchés laitiers et transformation des régimes de concurrence 

Mutualisation sectorielle sous pression et statut des éleveurs en question
Liberalization of dairy markets and the transformation of competition regimes. Sectoral mutualization under pressure and the status of dairy farmers in question
Liberalización de los mercados lecheros y transformación de los regímenes de compétence. Mutualización sectorial bajo la presión y el estatuto de los criadores es puesto en cuestión
Marie Dervillé

Résumés

Nous proposons de mobiliser le concept de régime de concurrence pour appréhender la co-évolution des stratégies individuelles et des régulations collectives et publiques dans un domaine d’activité particulier. Combinant l’institutionnalisme historique de John R. Commons aux apports de la théorie de la régulation et de la socio-économie, le régime de concurrence définit les marges de manœuvres individuelles des opérateurs (faisceau de droits de propriété) compte tenu des régulations sectorielles informelles (conceptions de contrôle) et formelles (structures de gouvernance) et des régulations publiques (règles de l’échange).

Les résultats des recherches empiriques menées sur la transformation des secteurs laitiers français et allemands au cours des 60 dernières années montrent le rôle central joué par l’action collective dans la stabilisation des marchés, tant dans le cadre de politiques publiques interventionnistes (effectivité et extension du cadre réglementaire) que libérales (structuration d’ordres sectoriels). La différenciation régionale des régimes de concurrence ressort en Allemagne comme un levier essentiel d’adaptation à la libéralisation des marchés laitiers. Le verrouillage sectoriel national dans le cas français limite les possibilités régionales d’innovation et de création de valeur et freine la transition vers un régime de concurrence post-industriel.

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Texte intégral

Introduction

1Le secteur laitier français est l’un des plus puissants en termes de volume (2e producteur européen), de produits (marques internationales et produits sous appellation) et d’opérateurs (5 opérateurs référencés dans le top 25 mondial). Pourtant, les exploitations laitières françaises apparaissent plus exposées que leurs homologues européennes (IDELE, 2019 ; Dervillé,Fink-Kessler et al., 2019) à la libéralisation des marchés et aux crises qui se succèdent depuis 2009.

2Certains auteurs parlent, à propos du cas français, d’une crise de répartition de la valeur (Mevel, 2010) ; d’autres de crise professionnelle (Lamarche, 1987 ; Fillonneau, 2012) ; d’autres encore d’une crise de surproduction (Chatellier, 2016 ; Pouch & Trouvé, 2018). Il s’agit selon nous d’une crise sectorielle combinant ces différentes dimensions et liée à la mise sous pression de la configuration productive particulière du secteur laitier français à la suite de la libéralisation du marché laitier européen. En effet, l’intervention publique sur les marchés européens du beurre et de la poudre et le rationnement de l’offre ont été à l’origine , dans le cadre de la Pac [politique agricole commune], non seulement de droits sociaux européens (Allaire & Daviron, 2017), mais aussi, du fait d’une mise en œuvre différenciée entre États-membres, de droits sectoriels nationaux. Ces droits, de nature intangible, permettent et contraignent les stratégies des acteurs du secteur. Les choix nationaux de mise en œuvre de la Pac et leur combinaison avec les politiques structurelles nationales et les stratégies des opérateurs nationaux ont conduit à l’élaboration de droits sectoriels contrastés. En France, le principe de la cogestion entre État et profession et la médiation interprofessionnelle ont fortement structuré les relations sectorielles à l’échelle nationale et départementale. Avec la libéralisation, le prix d’intervention a été fortement réduit et les quotas ont disparu, ce qui a limité d’autant les capacités de régulation publique mais aussi sectorielle. Il en a résulté un affaiblissement de la légitimité des organisations professionnelles et interprofessionnelles françaises et de leur capacité à créer et à distribuer légitimement de la valeur, laissant les producteurs particulièrement exposés aux aléas de marché.

3Pour instruire cette hypothèse d’une crise sectorielle, nous élaborons un cadre d’analyse multiscalaire de la coévolution entre actions publique, collective et privée dans un domaine d’activité, en combinant les apports de la théorie de la régulation (TR) à la compréhension des dynamiques mésoéconomiques, à l’institutionnalisme originel de John R. Commons et à la typologie des institutions de marché élaborée par Neil Fligstein (1996). La comparaison avec l’Allemagne, premier producteur européen et partenaire central de la France dans la construction européenne nous est apparue comme particulièrement pertinente.

4Notre démonstration empirique s’appuie sur une analyse approfondie de la transformation structurelle allemande (évolution des modèles productifs et des régimes de concurrence dans lesquels ils s’insèrent) qui, par comparaison avec la situation française, permettra d’en identifier les verrous et les leviers d’action. L’article est structuré comme suit. Le cadre d’analyse et la méthodologie empirique sont exposés dans la section 2. Les résultats sont présentés dans la section 3 en trois temps : institutions clés du régime de concurrence européen, spécificités régionales allemandes et leviers d’adaptation à la libéralisation, puissance de l’organisation sectorielle française et verrouillage. Dans la section 4 sont discutées les perspectives pratiques du cadre d’analyse ainsi que les implications en matière d’accompagnement public des transitions.

1. Une approche comparée de la transformation des régimes de concurrence des secteurs laitiers français et allemands

1.1. Le concept de régime de concurrence : une approche institutionnaliste pour se saisir des dynamiques sectorielles

5En adoptant une perspective institutionnaliste, nous considérons : (i) que le marché, la concurrence, les modèles d’entreprise, la qualité ou encore la compétitivité sont des constructions sociales historiques qui dépendent entièrement des règles et catégories dont la société se dote ; (ii) que la concurrence est limitée par la coopération et repose sur des institutions qui définissent les stratégies concurrentielles autorisées sur les différents marchés (régimes de concurrence) ; (iii) que les capacités d’adaptation des agents sont de nature cognitive mais aussi institutionnelle. Plus précisément, en articulant les apports de la théorie de la régulation (TR) aux quatre échelles emboîtées de socialisation élaborées par J. R. Commons et à la typologie des institutions de marché de Fligstein (1996), nous proposons un cadre d’analyse multiscalaire des dynamiques sectorielles (Figure 1).

Figure 1. Le régime de concurrence : approche institutionnaliste des dynamiques sectorielles

Figure 1. Le régime de concurrence : approche institutionnaliste des dynamiques sectorielles

Note. RE : règles de l’échange ; SG : structures de gouvernance ; CC : conceptions de contrôle, DP : droits de propriété.

Source : Marie Dervillé, 2021

1.1.1. Analyse régulationniste des régularités et des crises

6La vocation de la TR est d’« expliciter les institutions nécessaires et suffisantes à la viabilité d’une économie capitaliste, puis d’en analyser la dynamique au sein de chaque architecture institutionnelle observée sur un ensemble géographique et une période donnée » (Boyer, 2003, p. 81). La TR considère ainsi les institutions selon une perspective historique et comme médiation entre microéconomie (choix individuels) et macroéconomie (structures observées). Cinq formes institutionnelles sont distinguées : le rapport salarial, la forme de la concurrence, la monnaie, l’État et les modalités d’adhésion au régime international. La forme de la concurrence, qui nous intéresse particulièrement pour étudier les dynamiques sectorielles, définit la manière dont « s’organisent les relations entre un ensemble de centres d’accumulation fractionnés dont les décisions sont a priori indépendantes les unes des autres » (ibid., p. 82). L’arrangement national de ces cinq formes institutionnelles consitue un mode de régulation intervenant dans la reproduction dynamique des relations économiques (régime d’accumulation). Mode de production et régime d’accumulation constituent un régime de développement. En éclairant la diversité des régimes de développement, la TR a pu mettre en évidence la diversité synchronique et diachronique des capitalismes et la spécificité des crises dont la forme diffère d’une période à une autre. Les concepts développés permettent en effet une analyse graduée des crises économiques. Ainsi, les crises exogènes résultant de perturbations extérieures sans modification du mode de régulation peuvent être distinguées de crises du mode de régulation qui correspondent, elles, à une incapacité du système de formes institutionnelles à enrayer les dérèglements du régime d’accumulation. La prolongation d’une telle crise peut se traduire par une incapacité à générer de la croissance (crise du régime d’accumulation) ou encore par un effondrement du système socioéconomique dans ce qu’il a de plus fondamental (crise du régime de développement).

7Comme mis en évidence dans la figure 1, nous nous appuyons sur les concepts de régime d’accumulation et de mode de régulation pour caractériser les dynamiques macroéconomiques nationales. Nous nous appuyons également sur les développements régulationnistes relatifs aux régularités sectorielles pour aborder les processus mésoéconomiques qui constituent notre échelle centrale d’analyse. L’attention portée aux institutions permet en effet de caractériser le secteur non pas uniquement à partir d’un produit mais comme « un ensemble productif regroupant des acteurs partageant les mêmes finalités productives et dont la reproduction étendue est assurée par des dispositifs institutionnels qui structurent et font évoluer cet espace de relations » (Laurent, Du Tertre et al., 2008, p. 28).« Si le “moteur” se situe bien entendu au niveau des entreprises, le (sous-) système productif est le lieu de bouclage, où la dynamique se nourrit, se structure et se décide » (De Bandt, 1989, p. 1). Ainsi, « les régularités sectorielles agissent à la fois comme instance permissive et comme centre de ressources pour les entreprises » (Boyer & Freyssenet, 2000, p. 31). Les dynamiques sectorielles sont, par ailleurs, marquées par les transformations du système macroéconomique d’ensemble (auxquelles elles contribuent également).

8Considérer le secteur laitier dans une perspective régulationniste revient à identifier les dispositifs institutionnels qui contribuent à impulser une dynamique économique particulière à cette sphère d’activité. Comme l’ensemble du secteur agricole durant la période fordiste (1954-1973), le secteur laitier se caractérisait par un rapport social de travail particulier tout en contribuant, par l’intermédiaire de la fonction alimentaire, au développement du rapport salarial fordiste (Du Tertre, 2002, p. 315). Il a ensuite été progressivement touché par l’entrée en crise du régime de développement fordiste. Trois pressions macroéconomiques ont ainsi été particulièrement notables : i) un élargissement des conceptions de la qualité (saturation du mode de consommation de masse et crise spécifique de la qualité industrielle en agriculture) ii) la réintroduction de l’agriculture dans les négociations sur le commerce international avec le cycle d’Uruguay (Uruguay Round) et iii) le développement des services qui en agriculture se traduisent à la fois par une réduction de la part des matières premières agricoles dans le PIB et par une reconsidération de la multifonctionnalité agricole (entretien de l’espace, services environnementaux). Ces changements se traduisent par une évolution de la forme de la concurrence sectorielle (de plus en plus monopolistique du fait à la fois de la concentration des opérateurs et de la différenciation des produits) et du compromis social dont bénéficient les éleveurs, ce qui se traduit par une évolution de leurs conditions d’accès au marché. L’association de cette analyse régulationniste à l’approche holindividualiste commonsienne va permettre de préciser le type d’institutions qui encadrent les comportements individuels dans ce secteur en transition.

1.1.2. Les quatre échelles de la régulation sociale de John R. Commons

9John R. Commons fait de la trans-action, de la relation entre êtres humains, l’unité élémentaire d’analyse. Cette entrée transforme notamment la question de la propriété en un rapport entre individus concernant une chose. Les droits de propriété sont des actions concertées (où les conflits d’appropriation sur les ressources rares ont été réglés) (« rights of property are the concerted action, which regulates the conflict », Commons, 1934, p. 303). En effet, du fait de l’interdépendance entre individus (coopération nécessaire pour produire une richesse mais opposition d’intérêt dans son appropriation), une transaction ne peut se nouer et se reproduire dans le temps que grâce à des « règles opérantes » (i.e. suivies dans la pratiques) ou institutions constitutives d’un « ordre tiré du conflit » (Théret, 2003). Toute transaction combine ainsi trois pôles (conflit, coopération, ordre). Cette formule de la transaction (microéconomie) se combine au niveau des organisations (mésoéconomie), puis d’ordres socioéconomiques (macroéconomie) et enfin de la société dans son ensemble (métaéconomie), structurant en définitive quatre échelles emboîtées de socialisation (Théret, 2005).

10Comme l’illustre la figure 1, nous reprenons à J. R. Commons i) la définition des institutions comme ordre tiré du conflit – jouant donc à la fois comme dispositif de coordination et comme cristallisation d’un rapport de force – et ii) les échelles emboîtées de régulation sociale des activités économiques. John R. Commons distingue en effet deux formes de régulation sélectionnées par l’expérience dans différents collectifs : l’éthique et la loi, dont le poids relatif varie selon les échelles. À l’échelle nationale macroéconomique, la loi, rendue opérante par la crainte de la violence légitime de l’État, assure la corrélation des différentes organisations économiques, sociales et politiques et stabilise un ordre socioéconomique. L’éthique contraint les comportements par une menace de bannissement hors du groupe à deux échelles : les communautés (collectifs, groupes d’acteurs), structurées par l’élaboration de projets communs, et la société dans son ensemble (métaéthique), échelle de sélection des valeurs raisonnables. Les valeurs raisonnables (que l’on qualifierait aujourd’hui de sociétales) « accomplissent la tâche principale de maintenir l’organisation collective en marche, et si par révolution ou conquête elles sont changées, [...] alors ce sont les concepts de raison et de raisonnabilité qui changent avec le nouvel ordre institué. [...] » (Commons, 1934, p. 763, traduit par Théret, 2005).

11Les dispositifs institutionnels sectoriels apparaissent ainsi comme des règles autorisées par la loi et rendues effectives par des sanctions collectives. Le contrôle collectif s’exerce de manière informelle sous forme de coutumes (du fait des interactions, les habitudes individuelles et collectives coévoluent) et de manière plus formelle au sein d’organisations. L’organisation est en effet, chez Commons, une structure de complexité supérieure à celle de la transaction, dans la mesure où elle en combine les trois formes (marchandage, management, répartition) et où elle se structure et se reproduit dans le temps sous l’autorité collective surplombante de la transaction de répartition (Théret, 2003).

12Ces formes complémentaires de régulation sociale des activités économiques soutiennent la définition de la propriété comme faisceau de droits (bundle of rights), rendus effectifs par différents collectifs emboîtés. Aux propriétés corporelle (désignant les résultats physiques de l’activité humaine) et incorporelle (correspondant à l’exécution légale), Commons ajoute la propriété intangible, renvoyant au contrôle matériel futur (« droit de fixer les prix ») attribué à une communauté professionnelle au regard de ses compétences (Commons, 1925, p. 373). Ce pouvoir d’achat est lié à une valeur d’échange (une valeur de rareté) et résulte d’un droit de rétention qui a été accordé à une communauté. La propriété intangible apparaît ainsi comme une définition institutionnelle de ce que les économistes néoclassiques appellent rentes organisationnelles. La conception de la propriété comme faisceau de droits permet d’appréhender la structuration sectorielle comme un mode spécifique de définition et d’affectation de divers droits sur des ressources.

1.1.3. Des institutions de marché de Fligstein au concept de régime de concurrence

13Neil Fligstein (1996) éclaire la dimension politique du fonctionnement des marchés en définissant quatre types d’institutions : les règles de l’échange, les structures de gouvernance, les conceptions de contrôle et les droits de propriété. Nous avions précédemment défini, en nous appuyant sur cette typologie, le régime de concurrence comme l’arrangement institutionnel de ces quatre institutions délimitant les stratégies concurrentielles possibles (Dervillé & Allaire, 2014 ; Dervillé, Fink-Kessler et al., 2019). Nous approfondissons ici ce concept en nous appuyant sur les catégories commonsiennes. La distinction entre droit et éthique nous conduit à délimiter, plus strictement que Fligstein, i) les règles de l’échange comme règles issues du droit, se distinguant ii) des structures de gouvernance qui sont des règles communautaires encastrées dans des organisations. Les structures de gouvernance se distinguent ainsi des conceptions de contrôle de par leur caractère délibératif (Vatn & Bromley, 1994 ; Vatn, 2007 ; Ostrom, 2010). Comme Fligstein (qui l’avait lui-même emprunté à Harrison Colyar White), nous considérons en effet la conception de contrôle comme le résultat de la répétition des comportements se propageant par mimétisme et débouchant sur une vision partagée de la structuration du marché qui permet aux acteurs d’interpréter leurs actions. Les conceptions de contrôle se déploient à plusieurs échelles (double flèche noire) et concernent à la fois (i) des conventions de productivité (ou conventions d’effort), qui permettent d’assurer la cohésion interne d’une firme, et (ii) des conventions de qualité, qui permettent à la firme de s’insérer sur un marché.

14Ensuite, et toujours dans la lignée de Fligstein, nous considérons la constitution des droits de propriété comme un processus politique continu et contestable mais nous y ajoutons les notions commonsiennes de popriété intangible et de faisceau de droits. Les droits délimitant les possibilités d’action des acteurs individuels et des organisations résultent donc des trois institutions précédentes. Ils sont rendus effectifs par un emboîtement du Droit et de sanctions communautaires. Enfin, nous étendons les apports de l’école de Bloomington sur la gouvernance multiscalaire (Ostrom, 2010) à la propriété intangible. Ainsi, à l’instar des ressources naturelles communes, le système de ressources institutionnelles (conceptions de contrôle et structures de gouvernance) qui sous-tend la propriété intangible n’est pas appropriable individuellement, mais le flux de ressources (solution productive, part de la valeur ajoutée collectivement créée) l’est : il est à l’origine de droits de propriété intangible. Le régime de droits de propriété intangible et le statut des différents acteurs sectoriels peuvent de la sorte être appréhendés.

15Dans l’approche en termes de régime de concurrence ainsi élaborée, les règles sectorielles de l’échange sont contraintes par le mode de régulation macroéconomique (haut de la figure 1, supra). Elles sont à la fois rendues effectives et étendues par les structures de gouvernance sectorielles qui évoluent avec les conceptions de contrôle et la structuration des activités. Par ailleurs, une échelle intermédiaire régionale de structuration des dynamiques économiques peut émerger lorsque les institutions de marché prennent régionalement une configuration particulière à l’origine de droits intangibles particuliers. Ce régime régional de concurrence évolue alors avec le régime (sectoriel) de concurrence et le régime de développement. Au niveau microéconomique (figure 1infra), les possibilités d’action des différents opérateurs de marché résultent d’un faisceau de droits sociaux, sectoriels et territoriaux. Cette perspective institutionnelle, multiscalaire et dynamique apporte ainsi un éclairage nouveau sur les dynamiques sectorielles comme espaces mésoéconomiques de régulation communautaire autorisés par la loi et structurés par la sélection de règles collectives relatives à la création, à l’échange et à la distribution de ressources productives.

16Concrètement, dans le secteur laitier, le régime de concurrence correspond aux règles sectorielles de l’échange (réglementation internationale, européenne et nationale ainsi que politiques laitières) et aux ressources sectorielles communes – conceptions de contrôle mais aussi structures de gouvernance professionnelles et interprofessionnelles qui favorisent l’action concertée des acteurs de marché. Plusieurs types de droits de propriété peuvent être associés à l’échange de produits laitiers : des droits de propriété corporelle peuvent être revendiqués en fonction de la composition biophysicochimique du lait ; des droits de propriété incorporelle peuvent être revendiqués dans le cas de la vente directe sous marque propre ; et des droits de propriété intangible résultent des régulations publiques et communautaires. Ces derniers peuvent être revendiqués par différents groupes d’agriculteurs : droits sociaux pour tout détenteur de quotas (accès au marché à un prix stable) ; droits sectoriels pour les éleveurs respectant les standards professionnels (conventions de qualité et de productivité), leur permettant de capter une part de la valeur sectorielle collectivement créée ; droits territoriaux, enfin, pour les membres d’une démarche de différenciation territoriale, appellation d’origine protégée notamment.

Nous allons maintenant pouvoir apprécier la pertinence et le caractère opérationnel de ce cadre épistémologique en procédant à une analyse comparée de la transformation des secteurs laitiers français et allemand.

1.2. Méthodologie empirique

Les transitions économiques sont des processus longs et complexes. Pour comprendre les difficultés que rencontrent actuellement les éleveurs français, il importe de bien comprendre la structuration des droits encadrant les leviers d’action des éleveurs. C’est pourquoi l’analyse empirique s’étend sur les soixante dernières années.

17L’Allemagne et la France ont par ailleurs été choisies comme cas d’étude parce qu’elles sont les deux plus grands producteurs agricoles de l’UE et les deux acteurs politiques les plus influents en termes de politique agricole européenne. En outre, ces États membres présentent des conceptions différentes de la qualité alimentaire (Sylvander, Lagrange & Monticelli, 2007, p. 4 ; Valceschini & Mazé, 2000, p. 37). Dès lors, il est intéressant d’évaluer la manière dont ces deux pays leaders s’adaptent à l’évolution de la politique agricole commune (Pac), au tournant qualitatif sur le marché, à la libéralisation des échanges et enfin à l’urgence environnementale. Deux régions ont été choisies dans chaque État membre, sur la base de travaux antérieurs (Dervillé,Fink-Kessler et al., 2019 ; Trouvé, Dervillé et al., 2016), pour leurs profils sectoriels contrastés. La Bretagne et la Basse-Saxe sont des régions laitières spécialisées, respectivement française et allemande, qui connaissent un développement de la production et une forte intégration aux marchés internationaux, tandis que l’Occitanie et la Bavière sont des régions au potentiel agricole contrasté, avec des zones montagneuses et un engagement dans des secteurs de qualité, mais où la production laitière est généralement en déclin (en Occitanie, particulièrement).

18Les études de cas s’appuient sur trois sources de données : (i) la littérature scientifique et les données secondaires (rapports, revues de presse et données statistiques) ; (ii) des entretiens semi-directifs avec divers acteurs des filières dans les quatre régions ; et (iii) des entretiens avec des agriculteurs et leurs partenaires en amont et en aval, sélectionnés pour leur capacité à innover. Soixante-treize entretiens ont été réalisés en 2018 (pour plus de détails, voir l’annexe 1). Les statistiques (nationales et régionales) ainsi que les entretiens (tous transcrits et codés thématiquement) ont été utilisés pour élaborer des indicateurs permettant de qualifier le régime de concurrence.

19Cette analyse du discours visait à évaluer l’évolution des conceptions de contrôle des acteurs sectoriels (convention de qualité et de productivité, notamment) et des compromis portés par les structures de gouvernance publiques et privées. C’est l’étude des instruments de politique publique et de leur niveau de mise en œuvre qui a permis de caractériser les règles de l’échange. Enfin, les droits de propriété des agriculteurs ont été évalués en tenant compte des prix, des subventions et de l’accès aux services au sens de solutions productives. Par souci de concision, les indicateurs ayant permis de qualifier chacune des institutions des régimes de concurrence européens et nationaux sont décrits en détail en annexe 2 : tableaux 2, 3 et 4.

2. Résultats

La première section a permis de mettre en perspective la diversité des institutions ayant soutenu la structuration et la transformation du secteur laitier européen. La section 2 montre que la stratégie allemande d’adaptation repose sur une régionalisation de la transition néolibérale. Enfin, la section 3 démontre que les difficultés françaises d’adaptation à la libéralisation résultent d’un verrouillage national sectoriel qui prive les producteurs de solutions créatrices de valeur.

2.1. Émergence et fragmentation du marché industriel européen de produits laitiers

20La partie haute de la figure 2 résume les principales règles de l’échange encadrant les transactions laitières sur le marché européen. L’évolution de ces règles a été centrale dans la transformation du régime de concurrence européen, toutefois, comme nous le soulignons, les institutions sectorielles, conceptions de contrôle et structures de gouvernance ont été instrumentales également. Trois périodes, correspondant à trois configurations particulières des quatre institutions de marché, sont mises en évidence : i) de la conférence de Stresa et à la mise en place des quotas, le régime de concurrence, fortement marqué par le modèle de développement fordiste, est qualifié de régime industriel fordiste ; ii) au cours de la période suivante, le régime de concurrence, marqué par le rationnement de l’offre et la différenciation des marchés, est qualifié d’industriel qualitatif ; enfin, iii) le démantèlement progressif des outils publics de gestion des marchés marque l’entrée dans un régime néolibéral (Dardot & Laval, 2010), qui se met en place selon des pas de temps différents en fonction des États membres.

21Le concept de régime de concurrence permet de rassembler les différents ressorts du régime industriel laitier identifiés dans la littérature. Les règles de l’échange (RE), structurées par l’Organisation commune de marché (OCM), séparent le marché européen du marché mondial en intervenant directement dans la fixation du prix des commodités (beurre et poudre). Les conceptions de contrôles (CC) correspondent à la diffusion du modèle fordiste en agriculture avec une convention de qualité́ fondée sur la standardisation des produits agricoles et agro-alimentaires (Allaire, 2002), une convention de productivité liée à la substitution du capital au travail et aux économies d’échelle dynamiques (par la spécialisation des exploitations, des entreprises et des territoires) (Krugman, 1987) et, enfin, l’émergence de nouvelles identités en lien avec la séparation et l’industrialisation des activités amont (production d’intrants) et aval (fabrication de produits alimentaires) (Malassis, 1977). Ces identités se structurent au sein de structures de gouvernance (SG) professionnelles et, dans le cas français, interprofessionnelles. Le secteur laitier, qui permet une intensification de la production sur de petites surfaces, est particulièrement concerné par cette évolution. Les éleveurs, en adoptant le paquet technique industriel et en se conformant aux normes professionnelles, bénéficient d’une forme de stabilisation de leur revenu et sont en mesure de sortir d’une certaine marginalité (Henry, 1974 ; Rémy, 1987 ; Muller, 2000). Ces droits de propriété intangible sont qualifiés par Gilles Allaire (2017) de droits sociaux, compte tenu du rôle central de l’État dans leur institutionalisation.

Figure 2. Transformation des régimes de concurrence français et allemands

Figure 2. Transformation des régimes de concurrence français et allemands

Source : Marie Dervillé, 2021

22La rupture qui survient en 1984 résulte d’une modification des règles de l’échange. L’instauration des quotas marque la fin d’une croissance extensive. La politique européenne de la qualité, en instituant des signes officiels de qualité, encourage par ailleurs les démarches collectives d’organisation de la concurrence. Les indications géographiques en constituent un exemple. Elles sont reconnues au niveau européen (1990), puis partiellement au niveau international (dans le cadre de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce -ADPIC-, 1995) (Sylvander, 1996). En parallèle, les conceptions de contrôle évoluent, débouchant sur la structuration de nouvelles structures de gouvernance. Deux paradigmes de la qualité alimentaire émergent et s’hybrident (Ilbery & Kneafsey, 2000 ; Allaire & Wolf, 2004) : i) la qualité intrinsèque et fonctionnelle des produits, correspondant à un approfondissement des qualités industrielles ; et ii/ la qualité identitaire des produits (Ilbery & Kneafsey, 2000 ; Allaire & Wolf, 2004), qui appréhende le produit dans sa globalité (mode de production compris) mais ne peut pas être évaluée directement par le consommateur. Les innovations collectives en termes de systèmes et de dispositifs de qualité deviennent centrales (Allaire, 1997; Allaire, Sylvander et al., 2005 ; Allaire, 2010) et se caractérisent par l’émergence de structures de gouvernance dédiées (en France, par exemple, syndicats de produits sous appellation et Fédération nationale d’agriculture biologique). La forme de la concurrence évolue, devient plus oligopolistique et gagne en importance (Petit, 1998). Ces évolutions génèrent par ailleurs des tensions entre opérateurs de la filière pour capter la valeur créée. Exploitations et entreprises laitières se concentrent et/ou investissent dans des ressources immatérielles, créant des marques et des normes privées visant à différencier leurs produits pour répondre à la demande et susciter un consentement à payer. Économies d’échelle et économies de gamme se combinent. Parallèlement, les supermarchés se développent. Leur croissance et leur concentration remodèlent progressivement le pouvoir de marché dans les chaînes alimentaires (Allain & Chambolle, 2003 ; Kühl, Fahlbusch et al., 2016 ; Chambolle, 2017 ; Hofstetter, 2019).

23À partir de 2003, en limitant le rôle de l’Union européenne comme acheteur en dernier recours, les réformes successives de la Pac vont dans le sens d’une réactivation du marché́, dont la hausse progressive des quotas, jusqu’à leur suppression en 2015, marquera l’aboutissement. Toutefois, la mise en place, conjointement à la libéralisation du marché, de soutiens agricoles directs couplés puis découplés, versés sous réserve du respect de normes environnementales, constitue une nouvelle forme de stabilisation du revenu préservant, du moins en partie, les droits sociaux des éleveurs. En outre, l’adoption du « Paquet lait », en 2012, conforte la spécificité agricole au regard du droit de la concurrence en autorisant les producteurs à négocier collectivement le prix de leur lait sans transfert de propriété. Ainsi, la libéralisation des marchés, en accord avec sa caractérisation néolibérale, correspond à une évolution des règles de l’échange (et non à leur suppression) et à leur mise au service d’un ordre privé. Les manifestations des éleveurs laitiers (allemands en 2008 et français en 2009) en réaction à la volatilité accrue des prix, puis la crise de 2014-2016 témoignent d’un changement de régime. Alors que le retournement des marchés de 2008-2009 était conjoncturel, la crise de 2014-2016 est structurelle : l’offre étant devenue structurellement excédentaire (certains États membres ayant augmenté leur capacité productive alors que, dans le même temps, des marchés se refermaient) et les instruments de politique publique libéraux ne permettant pas de prévenir les instabilités inhérentes aux marchés agricoles (Boussard, 2010 ; Pouch & Trouvé, 2018). Nous partageons cette analyse d’une crise combinant une incapacité du mode de régulation à enrayer les dérèglements du régime d’accumulation, et se traduisant, du fait de sa prolongation, en une crise du régime d’acculumation. Toutefois, le développement au niveau mésoéconomique du concept de régime de concurrence nous permet également d’identifier la mise sous pression des ressources communes sectorielles (structures de gouvernance, conceptions de contrôle et droits de propriété intangible). Cette focale est d’autant plus pertinente qu’en parallèle les valeurs sociétales évoluent et que l’urgence climatique interroge la place de l’élevage dans la société (Steinfeld et al., 2006 ; Poux & Aubert, 2018). C’est cette difficulté de structuration du système de ressources et d’acteurs sectoriels, dans le cadre de règles de l’échange libéral et d’un régime d’accumulation instable, qui nous permet également de qualifier la crise laitière de crise sectorielle. C’est à cette dimension sectorielle des droits et statuts des éleveurs que nous allons nous intéresser dans les deux parties suivantes.

2.2. En Allemagne : différenciation régionale des régimes de concurrence

24Dans cette section, nous expliquons que la spécificité de la transition allemande s’appuie – comme illustré par les institutions en gras de la figure 2 – i) sur l’existence ancienne de collectifs d’éleveurs impliqués dans la commercialisation ; ii) sur la régionalisation des politiques publiques ; iii) sur une libéralisation précoce (dès 1990).

2.2.1. Régime industriel décentralisé

25En Allemagne, l’industrialisation s’est mise en place sur la base d’identités spatialement contrastées. Trois lois antérieures à la Pac (la loi sur la structure du marché de 1933, la loi sur le lait et la matière grasse de 1952 et la loi de 1958 permettant aux producteurs de négocier collectivement le prix du lait) ont favorisé la structuration d’organisations de producteurs (structures de gouvernance) engagées dans la négociation collective de la vente de lait et l’institutionnalisation du principe de l’apport total. Les Länder du nord, de tradition beurrière, se sont organisés en coopératives tournées vers le marché international. Au sud, les fabrications sont majoritairement fromagères et à destination d’un marché régional (Jürgens & Fink-Keßler, 2015) et les producteurs sont organisés en collectifs de collecte (Milcherzeugergemeinschaft : MEG) pour vendre leur lait. Ainsi les conceptions de contrôle – conventions de qualité et de productivité –, les structures de gouvernance (coopératives et MEG) et les transactions laitières conservent-elles un caractère régional marqué.

26En outre, le fédéralisme allemand a permis aux éleveurs de bénéficier, durant cette période, de choix nationaux forts de mise en œuvre de la Pac (mise en place de montants compensatoires monétaires en 1973, en supplément des prix minimums garantis) sans les priver de moyens d’adaptation au contexte local du fait de la responsabilité du Land en matière d’enseignement agricole, d’appui technique et de recherche-innovation. De façon comparable, si le syndicat majoritaire a soutenu la modernisation et l’adoption de technologies intensives en capital, cela s’est fait sans encadrement des structures, ce qui a permis une différenciation régionale.

27Les institutions du tournant qualitatif ont eu un impact national limité. Les quotas n’ont pas remis en cause l’alliance entre producteurs et laiteries et sont rapidement devenus marchands (bourse d’échange créée en 1999), ce qui a limité leur effet structurant. En matière de qualité, la filière laitière s’est peu appuyée sur les indications géographiques (Sylvander, Lagrange et al., 2007). En revanche, depuis les luttes citoyennes contre le nucléaire, les préoccupations environnementales sont fortes (Schritt, Hülbusch et al., 1977) et l’Allemagne a saisi l’opportunité de soutenir l’agriculture biologique dès 1988 et les premiers programmes d’extensification. De plus, un programme fédéral a été mis en place en 2001 et reconduit en 2010.

  • 1 Programme visant à protéger la dimension culturelle des paysages agricoles.
  • 2 Programme de soutien aux paysage agricoles et à la mise en marché.

28Les Länder du sud de l’Allemagne s’en saisiront tout particulièrement et établiront en outre leurs propres programmes : le Kulap (Kulturlandschaftsprogramm1) en Bavière et le Meka (Programm für Marktenlastungs- und Kulturlandschaftsausgleich2) au Bade-Wurtemberg contribuent à préserver la diversification des exploitations par le versement d’aides directes contractuelles et/ou le soutien à l’investissement. En parallèle, les valeurs sociétales évoluent et l’urgence climatique interroge la place de l’élevage dans la société (Steinfeld et al., 2006 ; Poux & Aubert, 2018).

29En résumé, les droits de propriété intangible attribués aux producteurs laitiers allemands sont liés, durant la période 1968-1990, à la politique européenne d’administration des prix puis de rationnement. Des droits régionaux émergent aussi, en relation avec la structuration spatiale de la filière (structures de gouvernance et conceptions de contrôle) et la différenciation des politiques publiques des Lander, qui se traduisent par une régionalisation de certaines règles de l’échange. Ces droits ont entraîné une hausse des prix dans les Länder du sud (Perrot, Dervillé et al., 2009) via un niveau de subvention plus élevé par litre de lait (voir Annexe 2, tableau 2, ligne 30), ce qui permet de couvrir des coûts de production plus élevés (Jürgens & Poppinga, 2013).

2.2.2. La différenciation régionale des régimes de concurrence comme levier d’adaptation à la libéralisation

30La réunification – conduisant dès 1990 à la mise en concurrence des grandes structures collectives de l’Est avec les exploitations familiales de l’Ouest – ainsi qu’une sensibilité environnementale marquée ont conduit l’Allemagne à une libéralisation précoce des règles de l’échange. La réforme de 2003 met en avant une volonté de rompre avec la politique antérieure. Les aides sont découplées et leurs montants sont progressivement harmonisés à l’échelle du Land, de 2005 à 2013, puis à l’échelle de l’Allemagne, de 2014 à 2020 (Boinon et al., 2006 ; Perraud, 2004). Cette harmonisation s’est traduite par une revalorisation significative des aides pour les surfaces de prairie ainsi que pour les Länder (en Basse-Saxe, notamment) disposant historiquement des rendements moyens les plus faibles. Le découplage et l’extension du marché de quotas (2007) ont en revanche favorisé la reprise des économies d’échelle dynamiques et la spécialisation des régions allemandes. Ainsi, la production laitière s’est concentrée ces dernières années dans des zones présentant des avantages comparatifs ; en particulier dans la zone montagneuse du sud de l’Allemagne (Allgaü bavarois, notamment) et surtout dans la ceinture herbagère du nord de l’Allemagne (près de 800 millions de litres de quotas ont d’ailleurs été transférés du sud vers le nord de l’Allemagne entre 2007 et 2018).

31La suppression des quotas marchands (et de la charge financière associée) a été majoritairement vécue par les producteurs allemands comme un soulagement. Les industries laitières allemandes ont en outre tiré parti de l’ouverture du marché : 50 % des volumes sont exportés (IDELE, 2019). Par ailleurs, du fait de la proximité organisationnelle entre MEG et les organisations de producteurs (OP), la mise en œuvre du paquet laitier en 2012 n’a pas constitué une contrainte pour les producteurs (Dervillé, Fink-Kessler et al., 2019). De plus, cette évolution des règles de l’échange est allée de pair avec une évolution du système d’éducation et de conseil, ce qui a vraisemblablement favorisé l’évolution de la conception de contrôle de l’activité agricole : la maîtrise des coûts de production est devenue une compétence clé et la conception entrepreneuriale s’est imposée.

Enfin, l’Allemagne s’est appuyée sur sa politique énergétique pour soutenir ce virage. La loi sur les sources d’énergie renouvelables (EEG) (promulguée en 2000 et révisée en 2012 et 2015) a ainsi offert des opportunités de diversification et de stabilisation du revenu des exploitations, complémentaires aux soutiens de la Pac (IDELE, 2015).

32En Bavière, une conception de contrôle spécifique s’est progressivement établie autour i) de fromages de qualité intermédiaire régionalement appréciés (Italie, Autriche, Slovénie et plus tard, Europe de l’Est) (Fink-Kessler, 2013 et entretiens) ; ii) d’un réseau de laiteries privées et coopératives de différentes tailles bénéficiant du dynamisme industriel régional ; iii) d’exploitations qui ont conservé un caractère patrimonial (plus petites et plus diversifiées) et qui contribuent à l’entretien de paysages appréciés des touristes. Cette conception de contrôle a été confortée par le développement de structures de gouvernance spécifiques et par les choix politiques régionaux. Le ministère de l’Agriculture bavarois a agi en synergie avec les acteurs économiques et a soutenu le développement qualitatif du secteur laitier de manière proactive : i) incitations à la préservation du paysage et soutien à l’agriculture biologique au sein du Kulap ; ii) préservation d’un système d’éducation publique régionalisé ; iii) développement d’une marque régionale. La libéralisation a conforté cette stratégie de différenciation : conceptions de contrôle et structures de gouvernance spécifiques ont favorisé le développement de nouvelles stratégies de coopération, comme en témoigne la création de la Bayern MEG, qui constitue à ce jour la plus grosse association européenne non commerciale d’organisations de producteurs. Elle permet à 14 000 producteurs de négocier 5,8 milliards de kg de lait (plafond européen), ce qui assure un certain équilibre dans la négociation des transactions laitières par un regroupement de l’offre, et ce malgré la concentration de l’industrie en aval. Ainsi, des exploitations plus petites se sont maintenues grâce à la diversification des revenus (bois, tourisme, énergie), mais aussi grâce à un prix du lait plus élevé permis par une montée en gamme (principale région productrice de lait biologique) et par une capacité de négociation collective. Ils bénéficient d’un régime de droits de propriété intangible régionalisés.

33En Basse-Saxe, la capacité d’action régionale repose sur l’appropriation de ressources génériques. Les connaissances, techniques, infrastructures et normes mobilisées sont en effet sectorielles, développées dans des espaces sectoriels étendus (nationaux et internationaux), mais les structures de gouvernance régionales (organismes de conseil, chambre d’agriculture, ministère agricole du land) en permettent une gestion cohérente. L’industrie laitière a élargi sa stratégie industrielle d’exportation : au côté du beurre et de la poudre de lait, du fromage industriel est aujourd’hui produit à grande échelle pour le marché national et international. La création de valeur repose principalement sur l’efficience technique et les économies d’échelle soutenues par un processus de concentration. Le prix du lait est bas et les exploitations laitières n’ont pas d’autre choix que de se restructurer, de se spécialiser et de croître. Cependant, elles bénéficient pour cela de soutiens régionaux publics et privés : les subventions publiques à l’investissement sont conséquentes et le soutien du secteur bancaire a été marqué lors de la crise de 2014-2016.

34Ainsi, en raison d’institutions de marché contrastées, les ressources collectives dont disposent les producteurs laitiers en Bavière et en Basse-Saxe sont contrastées : les ressources sont spécifiques en Bavière alors qu’elles sont génériques en Basse-Saxe. Un tournant qualitatif est en cours en Bavière et offre des possibilités de diversification des revenus aux agriculteurs alors que les éleveurs de Basse-Saxe sont incités à se concentrer davantage. Les ressorts de la compétitivité sont situés. La différenciation régionale des régimes de concurrence permet ainsi à des modèles productifs contrastés de coexister et apparaît comme une stratégie pertinente d’adaptation à la libéralisation. Toutefois, cette différenciation régionale, en l’absence de coordination nationale effective, expose les éleveurs au pouvoir des opérateurs suprarégionaux, distributeurs notamment, qui ont pris le leadership de nombre de démarches de qualité.

2.3. Puissance, captation et verrouillage du régime industriel français

35En France, la centralisation du pouvoir et la « cogestion entre l’État et la profession » ont favorisé la structuration nationale des ressources sectorielles (voir Figure 2, 1er tableau, 1re colonne). Cette stratégie de mutualisation a vraisemblablement contribué à l’efficience du secteur et a favorisé une solidarité entre les producteurs engagés dans la modernisation. Cette stratégie s’est renforcée en 1984, à la suite de la mise en place des quotas. Or, c’est précisément l’institutionnalisation de cette identité laitière sectorielle, structurée autour de droits à produire, de savoirs techniques génériques et d’une délégation des activités de conception et de négociation commerciales au syndicat majoritaire, qui apparaît aujourd’hui comme un verrou freinant l’accès à des stratégies territoriales de création de valeur.

2.3.1. Un régime industriel centralisé : mutualisation, efficience et solidarité

36La cogestion est une forme de corporatisme sectoriel dans lequel l’administration et les responsables du secteur (syndicat principal) collaborent à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique (Muller, 2000). Cela s’est accompagné, dans le cadre des lois d’orientation des années 1960, de l’élaboration de structures de gouvernance (SG) en charge du pilotage de certaines tâches (éducation, conseil, mutualité sociale agricole) qui contribuent à légitimer l’expertise et la responsabilité de la profession (Rémy, 1987). La Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) a ainsi été créée en 1969, non seulement pour défendre le prix du lait mais aussi pour promouvoir la structuration d’exploitations familiales à deux travailleurs. La loi Godefroy (1969) marque l’émergence de laboratoires interprofessionnels, puis d’une interprofession (1974) ayant pour mission (i) de garantir la neutralité et (ii) d’assurer la transparence des paiements du lait.

37Ces innovations organisationnelles (SG), combinées aux innovations techniques agricoles (révolutions fourragères, culture du maïs, génétique animale) et industrielles (traitement en flux continu, dispositifs de réfrigération, fromages pasteurisés, lait stérilisé à « ultra-haute température », notamment), ont radicalement changé la structuration du secteur (conceptions de contrôle) : les villes et leurs marchands perdent de leur caractère structurant et l’industrie laitière bretonne, notamment, émerge comme centre sectoriel (Ricard & Rieutort, 1995 ; Vatin, 1996 ; Delfosse, 2007 ;Wossen, Abdoulaye et al., 2017).

38Entre 1984 et 2008, le contrôle professionnel et interprofessionnel s’accroît. Le maintien de la production sur le territoire a été organisé, ainsi qu’une solidarité entre producteurs, quelle que soit la capacité de leur laiterie à se saisir du tournant qualitatif des marchés. La gestion administrative des transferts de quotas visait en effet à éviter une restructuration sauvage et la fragilisation du compromis professionnel issu de la politique des structures (Hairy & Perraud, 1988, p. 34). Cette cogestion des volumes a effectivement freiné la concentration spatiale de la production et favorisé le maintien d’exploitations de taille moyenne sur l’ensemble du territoire (Dervillé, Vandenbroucke et Bazin, 2012). Par ailleurs, la gestion interprofessionnelle des questions de prix (dont les variations restent marginales dans le cadre de l’OCM lait) et de qualité a soutenu l’institutionnalisation progressive d’un « lait apte à toute transformation ». Les indicateurs interprofessionnels définissant à la fois les critères de paiement du lait et leur valeur sont au cœur du dispositif. De 1997 à 2006, les accords interprofessionnels nationaux qui établissaient lesdits critères ont limité à la fois la concurrence entre producteurs vis-à-vis des transformateurs et entre transformateurs vis-à-vis des producteurs. Ainsi, tous les producteurs, quels que soient les débouchés de leur entreprise de collecte, bénéficient du même prix de base. Ces règles sectorielles ont aussi favorisé les échanges de circuits de collecte entre laiteries et ont contribué à la réduction des coûts de collecte. En outre, l’interprofession a engendré des capacités collectives d’innovation et a contribué à la réputation des produits laitiers en France et à l’international. Le succès des groupes laitiers français (au nombre de cinq dans le top 25 mondial) est un succès collectif.

39En résumé, la persistance de la cogestion avec le syndicalisme majoritaire, combinée à la légitimité du système des quotas et des accords interprofessionnels, a favorisé le maintien d’un régime industriel solidaire jusqu’en 2008. Durant cette période, les droits de propriété intangible des producteurs laitiers sont liés à la politique européenne de rationnement. La cogestion des droits à produire et l’accord interprofessionnel ont en outre contribué à créer des droits sectoriels. Le maintien de la cogestion a également conduit à la persistance d’un contrôle technique et « productiviste » de l’agriculture (Ansaloni & Fouilleux, 2006). Ainsi, l’ancrage territorial de la production a été assuré principalement grâce à la gestion des ressources sectorielles génériques (qualité, prix, volumes et solutions techniques industrielles) à l’échelle nationale (Office du lait et Centre national interprofessionnel de l’économie laitière) et départementale (commissions laitières des Comités d’orientation agricole, Centre régional interprofessionnel de l’économie laitière et chambres d’agriculture). Dans les années 2000, toutefois, la composante territoriale du contrôle de la concurrence se renforce progressivement, avec le développement de ressources spécifiques (multiplication des cahiers des charges et des marques) et un accroissement des marges de manœuvre régionales dans la gestion de ressources génériques (quotas, aides du second pilier).

40Aux côtés des structures de gouvernance de ce régime sectoriel, d’autres collectifs se structurent d’ailleurs autour de ressources alternatives qualifiées de spécifiques : savoir-faire herbager et fromager, notamment. Ils trouvent des appuis institutionnels dans les politiques publiques visant à assurer une politique de qualité supérieure par l’institutionnalisation de certifications collectives de qualité (1925 pour le Roquefort et 1955 pour les autres fromages ; Label Rouge, 1960 ; agriculture biologique, 1981) (i.e., Perrier-Cornet & Sylvander, 2000 ; Torre, 2002). Les syndicats de produits, les agences bio au niveau local et l’institut national de l’origine et de la qualité (Inao) au niveau national permettent de structurer des capacités collectives alternatives d’innovation et de différenciation des marchés. Ils ont ainsi encouragé les démarches territoriales de maîtrise de la concurrence et de soutien aux modes de production alternatifs, soutenant l’institution de droits de propriété intangible locaux. Les signes officiels de qualité (produits d’appellation d’origine, labels rouges et biologiques) sont en effet la seule source significative de différenciation du prix du lait (Desbois & Nefussi, 2007).

2.3.2. Verrouillage sectoriel et crise des ressources professionnelles et interprofessionnelles

En 2008, plusieurs facteurs sont à l’origine d’un basculement. Les pressions exercées concernent les règles de l’échange (suppression des quotas) mais aussi les structures de gouvernance (interdiction des accords interprofessionnels) et les conceptions de contrôle (volatilité accrue des prix). Le manque de cohérence des réponses publiques et sectorielles se traduit par une crise du régime de concurrence industriel.

41Les réponses publiques ont en effet été graduelles et peu lisibles. Le choix d’une attribution historique des aides directes traduit une dépendance au sentier qui s’explique par la persistance de la cogestion mais qui limite leur dimension stratégique. Malgré un certain rééquilibrage en faveur des systèmes d’élevage, les soutiens directs n’ont favorisé ni la spécialisation régionale ni les exploitations agricoles les plus « vertueuses » sur le plan environnemental (Kirsch, Kroll & Trouvé, 2017). Le soutien à l’investissement visant un développement structurel s’est par ailleurs mis en place assez tardivement en France et a exposé les exploitations à l’effondrement des prix de 2016 (Annexe 2 ; Tableau 2 pour l’année 2016). En outre, les contrats laitiers ont été rendus obligatoires en 2010, avant que les organisations de producteurs ne puissent les négocier, ce qui s’est traduit par des contrats bilatéraux et des « quotas de facto » sans compensation de prix (Trouvé, Dervillé et al., 2016). Enfin, le projet agroécologique mis en avant depuis 2014 par le ministère de l’Agriculture vise bien une évolution des représentations et des pratiques, comme en témoigne la révision progressive des référentiels de l’enseignement agricole, mais reste centré sur la technique et ne bénéficie pas d’une mobilisation forte de moyens publics et collectifs (Dervillé, Fink-Kessler et al.,. 2019).

42Au niveau sectoriel, la dépendance au sentier est également palpable. Sans soutien interprofessionnel et avec un soutien ambivalent de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), les OP, pourtant promues au niveau européen, ne parviennent pas à émerger comme SG du régime néolibéral. En outre, la fin des accords interprofessionnels a fragilisé l’interprofession et a limité sa capacité de régulation et d’anticipation. En l’absence de projet commun clair, les ressources communes sectorielles héritées du régime passé tendent à être captées par les opérateurs les plus puissants, au détriment des éleveurs. Les organisations professionnelles et interprofessionnelles héritées du régime industriel et structurées au niveau national apparaissent à de nombreux égards comme un verrou limitant les capacités territoriales d’adaptation des éleveurs. Le territoire apparaît en effet comme une échelle structurante pour l’élaboration de solutions productives et de stratégies de différenciation dans un régime néolibéral (Maréchal & Spanu, 2010 ; Chiffoleau & Prevost, 2012 ; Magrini & Duru, 2015 ; Triboulet et al., 2019).

43Ainsi, en lien avec l’incapacité à organiser une négociation collective des conditions d’accès au marché via les contrats, les éleveurs ont perdu une partie de leurs droits sectoriels, et les conditions d’accès au marché, dépendant à la fois du positionnement de marché des laiteries et de la capacité locale des éleveurs réunis en OP à négocier, se fragmentent (Lambaré, Dervillé & You, 2018). Cette crise des ressources communes s’observe aussi en matière de génétique animale, dont les capacités d’innovation sont en cours de privatisation (Allaire, Labatut & Tesnières, 2018). De ce fait, alors que les exploitations héritières du modèle modernisateur de l’exploitation agricole familiale à deux actifs se retrouvent fragilisées par la mise sous pression des ressources sectorielles nationales, les éleveurs entrepreneuriaux qui se sont réapproprié la conception du modèle d’entreprise et insérés notamment dans des démarches collectives de qualité plus localisées sont satisfaits de leur métier (Dervillé, Nguyen et al., 2020).

3. Discussion

3.1. Légitimité et renouvellement des capacités collectives d’innovation et de création de valeur

44L’étude indique que la période de stabilité (relative) qu’a connue le secteur entre 1960 et 2008 tient non seulement à la régulation publique du marché (quotas, prix administratifs et normes de qualité seuil) (Boussard, 2010), mais aussi aux ressources communes dont les opérateurs sectoriels se sont dotés (standards professionnels et interprofessionnels et systèmes de mutualisation de ressources). Ces communautés sectorielles ont permis d’élaborer un statut relativement inclusif pour les éleveurs laitiers du régime industriel français.

45Le caractère polycentrique de la gouvernance des ressources communes a déjà été mis en évidence pour les ressources naturelles et informationnelles (Ostrom, 2010). Le cadre d’analyse multiscalaire et l’application à la transformation sectorielle franco-allemande montre ici que l’articulation cohérente entre ressources publiques et ressources communes concerne également les ressources économiques et la propriété intangible. Les droits de propriété sont des droits socialement construits sur des flux de ressources élaborés non seulement par le droit à l’échelle des États-nations, mais aussi par différentes communautés sectorielles et territoriales.

46À l’instar des droits de propriété corporelle sur les ressources naturelles, les droits de propriété intangible sont exposés d’une part à un risque interne de captation par certains opérateurs et d’autre part à un risque externe de déstabilisation du fait d’une évolution du contexte dans lequel la communauté s’insère. Sur le premier point, la captation par les acteurs dominants des ressources communes se traduit par une perte de légitimité de la gouvernance collective qui fragilise les ressources communes. Un processus comparable a été mis en évidence pour la conventionalisation de l’agriculture biologique (Lemeilleur & Allaire, 2018). Cette tendance à la naturalisation de leurs droits par les opérateurs dominants d’un régime a été montrée pour le Droit (Enderle, 2018) ; l’étude l’étend aux ressources collectives. Les pressions externes concernent l’évolution des règles de l’échange (libéralisation de la politique laitière) mais aussi des valeurs raisonnables (attentes sociétales). Toutes deux remettent en cause la coopération dans l’élaboration de ressources industrielles, fragilisant ainsi le système de ressources communes du régime industriel.

C’est par l’expérience, au sein de structures de gouvernance renouvelées, que de nouvelles règles et ressources collectives, adaptées aux règles de l’échange libérales, peuvent être élaborées. Ce qui est en jeu, c’est le renouvellement des identités et des capacités collectives d’innovation et de distribution de la valeur créée dans une approche articulée plus globale.

3.2. Vers un cadre multiscalaire d’accompagnement de la transition

Le cadre d’analyse multiscalaire dynamique proposé apparaît ainsi comme un outil pertinent pour accompagner la sortie du régime de concurrence industriel.

47L’articulation entre institutionnalisme originel et théorie de la régulation (TR) permet de dépasser certaines limites rencontrées par chacune de ces approches : alors que la TR permet de caractériser finement les liens entre institutions et dynamiques d’accumulation, l’institutionnalisme originel permet de saisir les ruptures et innovations qui se produisent par l’innovation et la sélection de règles dans différents collectifs en interaction. En outre, la qualification des régimes de concurrence à partir de quatre institutions de marché (RE, CC, SG et DP) confère à cette approche un caractère opérationnel.

48Les résultats empiriques auxquels elle a abouti dans le cadre de l’étude de la transformation des secteurs laitiers allemandes et françaises sont encourageants. Ils montrent que la capacité d’action collective pour s’adapter à la libéralisation et aux attentes sociétales peut être construite à différents niveaux. La coopération visant à limiter la concurrence et à créer et capter de la valeur peut être locale (chaînes alimentaires de qualité spécifique), régionale (alignement régional des SG, CC et RE favorisé par la décentralisation allemande) ou nationale (suivi sectoriel de l’amélioration de la qualité générique et réputation collective pour les marchés nationaux et internationaux étendus, à l’instar des actions interprofessionnelles françaises).

Plus largement, ce cadre d’analyse multiscalaire, parce qu’il permet de penser les synergies entre échelles emboîtées et différentes modalités de régulation sociale (par la loi et par l’éthique) pourrait être utile pour accompagner une transition qui serait agroécologique, reposant sur une articulation de formes contextualisées d’agroécologies (Ferguson, Maya et al., 2019).

Conclusion

49L’approche en termes de régime de concurrence et sa validation empirique soulignent que la compétitivité est une construction sociale évolutive complexe résultant de l’action concertée et cohérente de différents acteurs (privés, collectifs et publics). La libéralisation des marchés peut ainsi être analysée par des moyens étendus : l’impact de l’extension de l’espace de concurrence pour les entreprises n’est pas le seul problème ; la pression exercée sur les capacités collectives d’innovation doit également être examinée.

50Cette attention portée aux ressources sectorielles permet d’identifier des marges de manœuvre collective à différentes échelles. Ainsi, alors que les éleveurs allemands gagneraient à renforcer leur structuration nationale pour peser dans les négociations avec l’aval ou l’acteur publique, les éleveurs français pourraient avoir intérêt à se structurer au niveau régional afin d’être en mesure de différencier leur offre de lait (voire de services associés à la production de lait) et de peser sur les termes d’une concurrence monopolistique associée à une économie néolibérale.

51De la comparaison avec l’Allemagne, il ressort que les régions peuvent contribuer à la compétitivité sectorielle lorsque les acteurs régionaux créent, mettent en commun et gèrent durablement des ressources, non seulement pour les intégrer dans des marchés étendus, mais aussi pour créer une forme locale de production et d’échange en créant un régime régional de concurrence. Il s’agit donc, pour les éleveurs français et allemands, de parvenir à combiner identité sectorielle et spécificités régionales et locales, afin de pouvoir renouveler la place de l’élevage et le statut des éleveurs dans les filières mais aussi sur les territoires.

52Ainsi, tant la libéralisation que la transition vers des modes de production plus durables appellent à une re-territorialisation des capacités collectives d’action. Dans cette perspective, les constructions régionales d’une réputation à l’origine d’une capacité de négociation des prix et d’une capacité d’innovation génératrice de solutions productives apparaissent complémentaires. La structuration de ces ressources communes et leur gouvernance sont à l’origine de droits et de devoirs pour les opérateurs de marché. Le droit de participer à l’élaboration de règles collectives est au cœur de la capacité à exercer un contrôle sur le futur. La mobilisation des agriculteurs en ce sens apparaît ainsi comme un élément central de leur participation effective à la transition en cours. Le cadre d’analyse élaboré se révèle être un outil pertinent pour accompagner l’acteur public et les communautés sectorielles et territoriales dans la transition vers des modes d’agriculture plus durables.

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Notes

1 Programme visant à protéger la dimension culturelle des paysages agricoles.

2 Programme de soutien aux paysage agricoles et à la mise en marché.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Le régime de concurrence : approche institutionnaliste des dynamiques sectorielles
Légende Note. RE : règles de l’échange ; SG : structures de gouvernance ; CC : conceptions de contrôle, DP : droits de propriété.
Crédits Source : Marie Dervillé, 2021
URL http://journals.openedition.org/regulation/docannexe/image/19850/img-1.png
Fichier image/png, 92k
Titre Figure 2. Transformation des régimes de concurrence français et allemands
Crédits Source : Marie Dervillé, 2021
URL http://journals.openedition.org/regulation/docannexe/image/19850/img-2.png
Fichier image/png, 130k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Dervillé, « Libéralisation des marchés laitiers et transformation des régimes de concurrence  »Revue de la régulation [En ligne], 30 | 1er semestre | Spring 2021, mis en ligne le 07 juillet 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/regulation/19850 ; DOI : https://doi.org/10.4000/regulation.19850

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Auteur

Marie Dervillé

Maître de conférences, École Nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (ENSFEA), Laboratoire d’étude et de recherche sur l’économie, les politiques et les systèmes sociaux (Lereps)ENSFEA, LEREPS, Manufacture des Tabacs, 21 allée de Brienne, 31 042 Toulouse Cedex ; marie.derville@ensfea.fr, orcid 0000-0002-4602-816X

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